Un nouveau regard sur Mucha à l’hôtel de Caumont d’Aix-en-Provence

L’hôtel de Caumont d’Aix-en-Provence présente une exposition Mucha, qui replace son oeuvre dans son contexte politique. Passionnant !

Dès le premier tableau de l’exposition « Mucha, maître de l’art nouveau » à l’hôtel de Caumont d’Aix-en-Provence, un autoportrait peint part l’artiste en 1899 annonce le regard qu’a décidé de porter sur l’artiste tchèque Tomoko Sato, conservatrice de la fondation Mucha à Prague et commissaire de l’exposition. Le jeune Alphonse Mucha y porte une rubashka, la chemise traditionnelle slave, un détail affirmant son identité dans une Europe encore dominée par les empires mais où se réveillent les nationalités. Le choix de cette entrée en matière est exemplaire de l’intelligence de l’accrochage de cette exposition, guidée à la fois par le plaisir et la sensualité, mais aussi par la portée politique de l’oeuvre d’un peintre que les Français croient bien connaître. 

Bien sûr, l’art d’Alphonse Mucha est indissociable de la carrière de la comédienne Sarah Bernhardt. La présentation débute par cette complicité, notamment avec l’affiche qu’il réalise pour Gismonda, première d’une longue série. L’histoire est cocasse, comme se plaît à la raconter Marcus, son arrière-petit-fils. « En 1894, juste avant Noël, elle demande une nouvelle affiche pour relancer la pièce. Tous les artistes sont absents de Paris. Mucha était à l’imprimerie et il fait l’affiche que l’imprimeur déteste. Mais il l’envoie tout de même l’affiche à Sarah Bernhardt. Quand elle la reçoit, Madame Sarah envoie un courrier pour le convoquer. Il frappe à la porte, elle l’embrasse et lui dit : Vous m’avez rendue immortelle. »

Pendant six années, Mucha devient son directeur artistique, signant ses affiches, mais aussi les bijoux, les costumes et crée le style Mucha qui deviendra le style Art nouveau. Sur de hautes affiches, il célèbre l’icône. Alors que l’imprimerie s’industrialise en utilisant des couleurs criardes, il revient à des tonalités plus douces, plus sensibles. Dans les courbes d’un décor foisonnant, le visage serein, Sarah Bernhardt flotte au-dessus du commun. Elle est la star, elle est Médée, la Dame aux camélias, Lorenzaccio, Hamlet. Déjà apparaît en arrière-plan, une croix byzantine rappelant les origines de l’artiste.

Entrant dans l’atelier de Mucha, l’exposition présente des photos rarement vues qu’il utilisait pour ses compositions. On découvre ainsi une étonnante photo de Paul Gauguin, jouant de l’orgue sans pantalon ou des dessins préparatoires. La modernité de son ambition et de sa technique se développe aussi à travers ce répertoire de forme qu’il conçoit pour réenchanter le monde. Dans le Paris de la Belle Epoque, il met son talent au service de la publicité, réalisant affiches et objets dérivés, toujours avec cette même intelligence de la composition.

Ensuite, l’exposition glisse vers le versant politique, moins connu du public français. C’est pourtant à Paris que tout bascule une nouvelle fois. Pour l’exposition universelle de 1900, l’empire austro-hongrois sollicite l’artiste au sommet de sa gloire, « un empire à laquelle appartient la Tchécoslovaquie dont il souhaite l’indépendance », rappelle la commissaire. Il accepte finalement de travailler pour le pavillon de la Bosnie-Herzégovine, mais son premier travail est censuré. « Sa vision mûrit » et le guidera vers une œuvre plus personnelle.

Après avoir voyagé aux Etats-Unis, Mucha revient chez lui et s’implique dans la naissance de la nation tchèque. De belles huiles, notamment Chant de Bohême de 1918, montrent cet engagement. L’exposition rassemble aussi des pastels au trait expressionnistes jamais montrés du vivant de l’artiste. Quand l’empire explose avec la fin de la Première Guerre mondiale, Mucha poursuit son engagement, il réalise les premiers timbres et les billets de banque de son pays.

Dans les années 30, alors que les périls montent dans une Europe déchirée, il témoigne de son inquiétude, jouant avec les ombres et les lumières. Au cœur de cette période, Alphonse Mucha se lance dans l’immense réalisation de L’Epopée slave, un ensemble de vingt tableaux monumentaux qui couvrent 600 mètres carrés de peinture. Grâce à un dispositif numérique immersif, l’exposition s’achève par une plongée vertigineuse dans ce travail titanesque et lyrique, épique et humaniste, fascinant et démesuré.

Jusqu’au 24 mars 2024. Tous les jours, de 10 h à 18 h. Hôtel de Caumont, 3 rue Joseph-Cabassol, Aix-en-Provence. 14,50 €, + 65 ans 13,50 €, réduit 11,50 €, -25 ans 10 €. Tarif famille 43 €. 04 42 20 70 01.

Comments

Laisser un commentaire